« J’ai traversé la Slovénie à pied »
Sans tact ni empathie, il m’a regardé droit dans les yeux pour me dire que mon prochain grand voyage se ferait sûrement en fauteuil roulant. Il me donnait moins de 10 ans pour profiter de mes jambes…
Generation Voyage vous présente l’Odyssée de Céline, qui, suite à un énième rendez-vous médical, aurait pu perdre espoir et tirer un trait sur ses rêves. À l’inverse, elle a préféré ouvrir un nouveau chapitre, le chapitre de toute une vie. Se servir de ses jambes pour voyager, tant qu’elle le peut encore…
Prologue
Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je ne sais jamais quoi répondre. Je pourrais dire que je suis rédactrice web. Ou blogueuse. Pourtant, je finis souvent par dire que je voyage. Drôle de réponse quand on s’attend à un nom de métier. Parce que non, voyager n’est pas mon job. C’est mon mode de vie. Je suis nomade depuis plus de 15 ans maintenant.
À l’adolescence, à l’âge où l’on se cherche, moi, j’ai cherché à aller voir ailleurs si j’y étais. À force de regarder des films étrangers, j’ai eu besoin de comparer les images télévisées à la « vraie vie ». Je suis donc partie en échange interculturel à l’autre bout du monde. Pendant 12 mois, j’ai vécu sur la côte caribéenne du Costa Rica. C’était mon premier grand voyage en solo. Je n’en avais pas conscience mais c’était le début de ma vie de nomade.
À peine rentrée de cette parenthèse, j’ai cherché tous les moyens possibles pour repartir au plus vite. Ma solution : alterner entre les différents programmes européens et les études. C’est comme ça que je suis partie en Service Volontaire Européen en Slovaquie, en Erasmus à Lisbonne, en stage au Nicaragua et au Chili, ou encore en université d’été en République Tchèque. Entre deux mini-expatriations, je partais en vacances ici ou là. Toujours au rythme de la lenteur, je prenais le temps de découvrir une ville, une région ou un pays.
Jongler entre voyages et problèmes de santé
Je me suis construite à travers ces voyages. Et à travers les problèmes de santé aussi. Depuis toute petite, j’enchaîne les rendez-vous médicaux. Entre deux escapades, je fais des bilans, des examens, et j’entends des spécialistes me dire qu’on ne peut rien faire pour m’aider. Ou trop peu.
Pourtant, je n’ai pas de maladie incurable ou orpheline. Mes maux sont connus du corps médical. Ils m’empêchent simplement de faire certaines activités. Ils me font peur. Ils m’obligent à refuser des invitations.
Pendant de nombreuses années, je n’ai pas pu faire de sport par exemple. Je cumulais les dispenses d’EPS et la frustration de ne pas pouvoir courir derrière le dernier métro de la journée. Aux quatre coins du monde, je faisais des randos en croisant les doigts pour ne pas finir à l’hôpital, j’apprenais quelques pas de salsa en essayant de ne pas m’étaler sur la piste de danse et je troquais les skis pour une simple luge. Quitte à être au sol, autant en profiter.
J’ai dû attendre 28 ans et plusieurs opérations aux genoux pour – enfin – pouvoir faire des choses aussi simples que courir derrière mon bus après une panne d’oreiller. Les genoux bariolés de cicatrices, j’ai cru que j’allais enfin pouvoir marcher, sauter et courir comme n’importe quel trentenaire essoufflé au moindre effort. J’ai d’ailleurs profité des vis plantées dans mes tibias pour faire quelques treks. J’ai parcouru de nombreux kilomètres dans les Andes chiliennes, j’ai marché dans les fjords patagons, j’ai grimpé sur les dunes du Sahara et j’ai parcouru le Salkantay Trek en autonomie.
Sans véritable entraînement, mon corps avait du mal à suivre. Mais à chaque pas, je ressentais le bonheur d’être « normale ». Le regard des autres ne me jugeait pas. Les rendez-vous médicaux faisaient de moins en moins partie de ma vie. Certains diront que toutes les bonnes choses ont une fin…
Ne jamais baisser les bras…
À peine deux ans après ma dernière opération, des douleurs sont apparues. Certaines étaient tellement fortes, que j’ai dû mettre un terme à un voyage au Chili et en France. J’ai passé plusieurs mois à rendre visite à des spécialistes en tout genre. J’ai passé tellement de temps dans les salles d’examens que j’aurais pu prendre un abonnement à la clinique du coin.
Puis, un jour d’hiver, un rhumatologue m’a ausculté. Sans tact ni empathie, il m’a regardé droit dans les yeux pour me dire que mon prochain grand voyage se ferait sûrement en fauteuil roulant. Il me donnait moins de 10 ans pour profiter de mes jambes…
Après avoir versé toutes les larmes de mon cœur, pesté contre son diagnostic et cherché un deuxième avis médical, j’ai décidé d’envoyer valser toutes mes douleurs. J’ai pris mes cliques et mes claques, mes bâtons de randonnée et j’ai tracé vers l’est. Si mon temps à vivre debout m’était compté, autant en profiter.
Sans entraînement ni préparatifs, j’ai pris la décision de traverser un pays à pied. Seule. Je rêvais de printemps, de nature sauvage et de paysages verdoyants. Je voulais de la montagne, des rivières et des rencontres. Un peu au hasard, un peu par nostalgie d’un road trip passé, j’ai jeté mon dévolu sur la Slovénie. Ce pays était parfait : accessible sans avion, assez petit mais pas autant que le Liechtenstein et relativement peu touristique.
…Et aller au-delà…
On m’a déposé à la frontière italo-slovène un 29 avril. De là, je n’avais qu’un seul objectif : atteindre la frontière hungaro-slovène. Adepte de l’improvisation, je suis partie sans trop savoir où les vents allaient me mener. Le jour de mon arrivée, j’ai téléchargé une application de sentiers de randonnée, enfilé mon k-way et mis un pied devant l’autre.
Ce voyage a duré 6 semaines. D’un bout à l’autre du pays, j’ai dessiné le chemin de mon voyage. Chaque jour, je me fixais un objectif. Souvent, c’était celui de prendre plaisir à être là, sans contrainte de temps ni de distance. J’ai traversé des villages, longé une nationale et appris à demander de l’eau en slovène. J’ai accepté des thés, des cafés et des biscuits offerts par des rencontres éphémères.
J’ai fait des détours pour attraper le soleil, manger une pizza et éviter une prairie aquatique. J’ai bivouaqué sous des arbres, campé au bord de rivières et dormi chez des inconnus. Enfin, je me suis perdue dans des forêts, partagé une pause avec une biche et admiré un renard sorti tout droit d’un conte de fées. Bref, j’ai vécu un rêve éveillé pendant plus d’un mois.
J’ai passé ma première semaine avec un Breton croisé au milieu d’un village. Lui, le sportif, a pris le temps de m’attendre. Moi, la voyageuse aux genouillères trop serrées, j’apprenais à résister à la fatigue, à la douleur et à l’envie de poser mon sac beaucoup trop lourd. La suite du voyage s’est faite dans un enchaînement de détours et de zigzags improvisés. J’ai longé la Soča vers le sud pour éviter la neige des Alpes juliennes. J’ai appris que la pluie arrose la Slovénie en mai. Et juin aussi.
J’ai découvert que le vent pouvait détruire un tissu et que se réveiller à 4 heures du matin dans une tente transformée en piscine n’était pas vraiment agréable. J’ai fait des pauses aussi. Plusieurs. J’ai attendu quasiment une semaine qu’une nouvelle tente arrive. Puis, quelques kilomètres plus loin, les douleurs sont revenues. Mes genoux ont doublé de volume et moi, je me suis arrêtée.
Au bord du lac intermittent de Cerknica, les mots du rhumatologue me sont revenus. D’après lui, mes genoux étaient bons pour la casse. Ce jour-là, je pensais qu’ils étaient surtout bons pour gâcher mon voyage. Alors, j’ai appris à me reposer. J’ai posé mon sac, j’ai ralenti le rythme et j’ai cherché des solutions. Il était hors de question d’abandonner le voyage. Il était hors de question de prendre des risques inutiles.
Pour la deuxième partie de cette folle aventure, j’ai adapté le voyage à mes capacités. Tous les jours, je ralliais un lieu d’hébergement en train. J’y laissais mon sac et je marchais entre 20 et 35 km. Le soir, je retournais à la case départ, en train. Je savais que ces allers-retours me faisaient perdre du temps, mais qu’importe : du temps, j’en avais. C’est d’ailleurs grâce à ce temps et à ma liberté de freelance que j’ai pu parcourir quasiment 700 km dans un pays à peine plus grand que la Picardie.
…Pour réaliser ses rêves
C’est parce que j’ai décidé d’écouter mon corps plutôt qu’un rhumatologue grabataire, que j’ai trouvé la force de poursuivre ce rêve qui me semblait inaccessible. Moi, l’habituée des chutes et l’abonnée aux épanchements de synovie, j’étais en train de traverser un pays à pied, en solo et en autonomie. J’étais en train de transformer un rêve en réalité. J’avançais à mon propre rythme vers où je voulais. Jour après jour, je repoussais les limites. Mes limites. Seule, j’ai fait un détour par le village de Celine, juste pour un selfie. Fatiguée, j’ai posé ma tente au milieu de nulle part. Heureuse, je me suis arrêtée à toutes les terrasses de café ensoleillées.
La Slovénie a été mon premier grand voyage sportif. Malgré la pluie quotidienne, la peur de ne plus pouvoir avancer, le froid et la fatigue, j’ai réussi à traverser un pays à pied. Malgré mon asthme, l’arthrose, les problèmes de dos et la menace d’une vie assise, j’ai pu réaliser mon rêve. À peine arrivée à la frontière hongroise, j’ai compris que la Slovénie marquait un tournant dans ma vie de nomade. Si j’avais réussi à marcher 700 km, alors je pouvais me lancer à la conquête du monde.
Depuis ce voyage, je continue à avancer au rythme de mon corps. J’ai traversé la France en kayak, j’ai fait le tour de Corse en kayak gonflable et j’enchaîne les randonnées itinérantes. Seule, en duo ou avec des amis, j’avance, un pas après l’autre, vers ces rêves qui deviennent réalité. Ma réalité. Celle d’une nomade au corps brinquebalant, celle d’une rêveuse qui refuse la fatalité, celle d’un petit cœur vagabond qui vit au rythme des rencontres.
Mes genoux ont toujours besoin de repos, mon dos me réclame toujours autant de massages et mes poumons restent malades. Mais mon sourire, mon bonheur et ma joie de vivre n’ont jamais été aussi puissants que depuis que j’ai réalisé que j’avais les moyens d’aller toujours plus loin.
Mes aventures se poursuivront à vélo, en stop, à pied et en kayak aux quatre coins du monde. Je les raconte sur mon blog Voyages d’une plume.
Par Josy Le 29/11/2021 à 12h13
Quelle volonté !!! je suis en admiration devant votre parcours et vous souhaite des milliers de bonnes choses à faire encore…. vous y arriverez avec autant de ténacité !!! dans la vie, il faut se booster et pour ma part, il y a une petite phrase qui tourne en boucle dans ma tête et qui m’a beaucoup aidée dans ma vie : » il n’y a que le premier pas qui coûte » !!!! et c’est vrai que oser une première fois ouvre infiniment de portes pour franchir la suivante !!!!
Avec toute mon admiration, je vous souhaite le meilleur.
Par Céline (autrice) Le 29/11/2021 à 20h07
Merci infiniment Josy !
C’est aussi ce que je me dis et ce que je répète à celles et ceux qui ont peur de se lancer : le plus difficile, c’est le premier pas.
Pour ce qui est des milliers de bonnes choses à faire, je pense que je suis sur la bonne voie : après avoir fait le tour de Corse en kayak gonflable, je me prépare pour un autre voyage sportif 😉
Merci encore pour votre gentil commentaire 🙂
Par ATMANI Le 27/11/2021 à 16h19
Bravo! J’admire les personnes tenaces qui n’acceptent pas facilement l’échec et n’abdiquent pas devant le premier obstacle. Vous nous avez démontré une fois de plus que le Seigneur nous a dotés de capacités sans limites.
Par Céline (autrice) Le 29/11/2021 à 20h05
Merci beaucoup ! 🙂
Je dois avouer que lorsque j’ai senti mes genoux gonfler et les douleurs revenir, j’ai hésité à abandonner. J’ai senti les larmes perler sur mes joues et je me suis demandée ce que je faisais là. Je me suis demandée si ce projet n’était pas trop grand pour moi. Puis, j’ai continué à avancer, j’ai trouvé des solutions et je suis allée au bout de mon rêve.
Je suis ravie que mon histoire vous ait plu.
Par Eric Gilson Le 27/11/2021 à 13h21
Trop belle ton histoire.
Je pense à ma soeur qui semble être dans le même cas que toi, plus de voyage, les vacances louer une maison dans un périmètre de 20km de chez elle par crainte d’avoir le dos ou les jambes bloquées le lendemain. Elle a du courage mais pas assez pour oser aller plus loin et à la fois on n’est pas dans son corps.
De toute façon je vais lui faire parvenir ton récit pour luis donner des forces.
Bon vent pour pour toutes tes aventures à venir.
Eric Belgique
Par Céline (autrice) Le 29/11/2021 à 20h02
Merci beaucoup Eric 🙂
On réagit tous différemment face à la maladie ou aux problèmes physiques. Je comprends la peur de rester bloquée. Et celle de devoir abandonner un voyage, un rêve, une envie à cause des douleurs qui reviennent. Je comprends et compatis.
J’espère que ta sœur trouvera comment être heureuse en vacances, que ce soit en partant à l’autre bout du monde ou à quelques kilomètres de chez elle. Si elle a envie de papoter de ce sujet avec une voyageuse qui déborde de problèmes physiques, qu’elle n’hésite pas à me contacter 🙂
Céline
Par catinou Le 08/08/2021 à 20h24
Bonjour et Chapeau bas Madame ou Mademoiselle…. J’admire votre force de caractère plus que les photos magnifiques que vous nous présentez. Vous donnez envie de se battre contre toutes sortes d’agression. Merci pour ce partage
Par Céline Le 29/11/2021 à 19h57
Merci beaucoup Catinou pour ce gentil commentaire.