La Transylvanie, voyage au cœur du livre de Bram Stoker
“Au-delà de ces collines, s’élevaient d’autres forêts et les grands pics des Carpates mêmes. Nous les voyions à notre droite et à notre gauche, le soleil d’après-midi illuminant leurs tons déjà splendides – bleu foncé et pourpre dans le creux des hauts rochers, vert et brun là où l’herbe recouvrait légèrement la pierre, puis c’était une perspective sans fin de rocs découpés et pointus qui se perdaient dans le lointain, où surgissaient des sommets neigeux.”
Jonathan Harker s’émerveille devant les paysages qui défilent devant lui, alors qu’il est en route pour rencontrer le comte Dracula. La suite de l’histoire, vous la connaissez sûrement : le jeune Harker devient prisonnier d’une créature assoiffée de sang. Il parvient toutefois à s’en sortir de justesse, pendant que le comte enchaîne les victimes. Jonathan et Mina, sa fiancée, tenteront ainsi de vaincre le vampire en lui enfonçant un pieu dans le cœur.
Si la légende est née de l’imagination fertile d’un auteur irlandais, les fameux paysages décrits par le Harker, notre protagoniste et guide, existent bel et bien. Ce sont ceux de Transylvanie, étymologiquement “au-delà des forêts” : une région montagneuse située dans l’Ouest roumain à plus de 2 300 kilomètres de la France.
Mais qu’y a-t-il vraiment, dans cet au-delà ? Un riche folklore, nourri par des mélanges de croyances religieuses et païennes. Disputée à tour de rôle des Mongols, les Saxons et les turcs Ottomans, la Transylvanie reflète ainsi pleinement cet incroyable brassage des populations.
Bram Stoker n’a jamais mis les pieds en Transylvanie pour écrire son célèbre Dracula en 1897. D’abord, il s’imprègne de son Irlande natale, rongée par la famine et le choléra, pour créer une atmosphère morbide. Ensuite, il entame un minutieux travail de recherche sur la région roumaine, et ses us et coutumes. C’est ainsi que le prolifique écrivain a vu en la Transylvanie un arrière-plan idéal pour développer son intrigue.
Aussi, Stoker s’est appliqué à piocher dans l’histoire locale pour créer sur mesure sa créature sanguinaire. En effet, le personnage de Dracula s’inspire du tyran voïvode Vlad III l’Empaleur, dont le surnom renvoie à ses techniques de tortures monstrueuses. En choisissant la Transylvanie comme toile de fond, Stoker possède donc une matière solide pour créer un roman passionnant, mais également un mythe, qui rendra populaire cette région roumaine que nous vous invitons à découvrir !
Rencontre avec notre guide
Il s’appelle Jonathan Harker, et c’est un jeune clerc de notaire londonien. Afin de conclure une vente immobilière avec un mystérieux comte étranger, Harker entame un voyage en Transylvanie, au cœur de la chaîne de montagne des Carpates. Ainsi, le voyage est aussi exotique qu’exceptionnel pour Harker, à une période où les avions et trains à grande vitesse n’existaient pas.
La route est longue, donc, mais le trajet permet à Harker de ne finalement rien louper. Celui-ci décide donc de raconter chacune des étapes dans un carnet, qu’il compte montrer par la suite à Mina, sa fiancée. C’est ce journal de bord en question, première partie du roman Dracula de Bram Stoker, qui nous sert ici de guide à travers cette région remplie de folklores.
Et dès son arrivée en Transylvanie, notre guide note ses premières impressions : “Il paraît que toutes les superstitions du monde se retrouvent dans les Carpates, et ne manquent pas de faire bouillonner l’imagination populaire. S’il en est ainsi, mon séjour pourra être des plus intéressants.” S’il savait…
Cluj-Napoca, à la poursuite de Dracula
“Ayant quitté Budapest sans trop de retard, nous arrivâmes le soir à Klausenburgh. Je m’y arrêtai pour passer la nuit à l’Hôtel Royal.”
Notre première étape, et celle de Jonathan Harker donc, commencera à Klausenburg, aujourd’hui connue sous le nom de Cluj-Napoca. Là-bas, Harker se rend à l’Hôtel Royal, où il goûte (au sens propre du terme) pour la première fois à la culture locale. On lui sert un mamaliga, porridge de farine de maïs, un impletata, plat d’aubergines farcies, et la paprika hendl, une soupe qu’il pense être à l’origine de ses cauchemars la nuit suivante.
Aussi, il échange ses premiers mots en allemand avec les aubergistes, qui font naître ses angoisses. En effet, leurs airs bien trop sérieux cachent sûrement quelque chose..
Toutefois, le Cluj-Napoca contemporain ne reflète pas franchement l’atmosphère sinistre décrite par Harker au début de son journal. En effet, la seconde plus grande ville de Roumanie respire la vie. Vie étudiante, vie culturelle, et vie nocturne, principalement. C’est à Cluj-Napoca, par exemple, que vous pourrez découvrir le merveilleux jardin botanique Alexandru Borza où cohabitent plus de 10 000 plantes.
Mais rassurez-vous, Dracula n’est jamais loin ! Vous pourrez d’ores et déjà vous plonger dans la Transylvanie d’un temps révolu au parc Romulus Vuia, où se trouvent les maisons traditionnelles des paysans, des moulins, et des commerces d’antan. Ensuite, il suffit de flâner dans les ruelles du bourg pour découvrir de nombreux vestiges religieux qui rappellent étrangement la piété des habitants qu’Harker rencontre sur sa route.
Et l’Hôtel Royal en question ? Vous trouverez alors son équivalent à l’Hôtel Transylvania, un établissement moyenâgeux situé dans la plus vieille rue de Cluj-Napoca : la rue Ferdinand. Enfin, si vous souhaitez dîner à la façon d’Harker, plusieurs restaurants proposeront les plats qu’il engloutit lors de sa première nuit transylvaine. Libre à vous de les accompagner avec un verre d’eau de vie locale, la Palinka…
En quittant le centre-ville par le Nord, le château de Bánffy de Bonțida et le monastère de Nicula représentent des étapes importantes dans ce pèlerinage littéraire. Au-delà, la visite de ces deux édifices, datant respectivement du XVe et du XVIIe siècle, permettent de se mettre un peu plus au parfum sur le patrimoine transylvain et son syncrétisme culturel.
Bistrița, les premiers frissons
“Mes recherches m’apprirent toutefois que Bistrița où, me disait le comte Dracula, je devrais prendre la diligence, était une vieille petite ville, très connue.”
Après Cluj-Napoca, Jonathan Harker se rend donc à Bistrița, où il passera une nuit. Dans son journal de bord, Harker parle du riche passé historique de Bistrița, mais aussi des fortes croyances orthodoxes qui animent la cité. Il mentionne les signes de croix des villageois, craignant le diable, ou plutôt la sinistre créature qui attend l’arrivée de Harker avec impatience.
Par ailleurs, c’est dans cette ville du nord de la Transylvanie que notre guide-protagoniste recevra le premier message de la créature en question, le comte Dracula donc, lui souhaitant la bienvenue dans les Carpates.
Ainsi, cette seconde étape à Bistrița permet d’entrer un peu plus en profondeur dans l’environnement surnaturel tel que Bram Stoker l’a imaginé. Car cet ancien bourg saxon, à 1h30 de route de Cluj-Napoca, semble s’être arrêté dans une autre époque ! Déjà, vous y trouverez des établissements d’architecture gothique comme la plus haute tour de Roumanie, une église évangélique datant du XIVe siècle.
Aussi, vous déambulerez dans des petites ruelles étroites, ponctuées par des restes de fortifications. Au cœur de cette ville archaïque, votre chemin croisera peut-être une splendide synagogue du XIXe siècle, la Maison de l’Orfèvre et la très vieille tour des Tonneliers, qui date quant à elle du XVe siècle. Enfin, et bien que ce ne soit pas vraiment une recommandation de Harker lui même : le marché de Bistrița est un incontournable lors d’une visite de la ville !
Forcément, les hôtels du coin pourront vous proposer de poursuivre l’expérience Dracula à la tombée de la nuit. Par exemple, l’hôtel Coroana de Aur (« Golden Crown » dans le roman) se revendique être l’héritier de l’auberge où Harker passa sa seule et unique dans la ville.
Ainsi, le lieu propose par exemple de vous restaurer dans le salon Jonathan Harker tout en goûtant aux plats qu’il mentionne dans son journal. Au menu : steak de brigan, vin Mediasch Doré et quelques crucifix.
On s’enfonce dans les Carpates…
“Quand le soleil commença à décliner, nous vîmes, ici et là, dans les anfractuosités des rochers, étinceler une chute d’eau.”
Dans la missive de bienvenue reçue par Jonathan Harker à Bistrița, le comte Dracula l’invite à traverser une partie des Carpates, ensemble montagneux parmi les plus grands d’Europe.
Des pérégrinations de ses personnages en Transylvanie, Stoker n’a rien laissé au hasard. Depuis sa petite bibliothèque du fin fond de l’Angleterre, il s’inspire du Voyage Dans la Valachie et la Moldavie de William Wilkinson (1820) pour maîtriser des lieux qu’il ne connaît pas.
Ainsi, il décide de placer le château de Dracula dans le col de Tihuța, nommé sous son nom hongrois de “Borgo” dans le roman. Et si vous arpentez les Carpates à votre tour, vous verrez que l’endroit semble parfaitement adéquat pour planter un vieux château entouré de menaçants sapins. Mais à l’époque, ce road-trip en montagne se fait en version calèche. Si le trajet en voiture prend aujourd’hui une bonne heure depuis Bistrița, il sera donc bien plus long pour Harker…
C’est donc là-bas, au cœur des montagnes Bârgāului et à 1 200 mètres d’altitude, que l’on se rapproche un peu plus du mythe. Après le succès du roman, des hôteliers ont construit un château dans le village de Piatra Fântânele, en référence à Dracula, où trône par là même une statue de Bram Stoker.
Là-bas, vous pourrez vous restaurer, séjourner, profiter d’une vue imparable sur les Carpates et même découvrir un (faux) cimetière. Car les hôtes prendront plaisir à rendre l’expérience aussi marrante qu’effrayante (veillez à garder une gousse d’ail sur vous !).
À quelques kilomètres du château-hôtel à thème, vous trouverez un monastère construit pour chasser les esprits maléfiques. Car il faut attirer les touristes, oui, mais sûrement pas le mauvais œil. Vous pourrez donc visiter ce monastère réputé pour son architecture labyrinthique et sa croix de 31 mètres de haut.
En plus, et si vous passez la nuit dans le coin, vous pourrez l’admirer en pleine nuit car ce dernier dispose même d’un éclairage LED.
Brașov, bienvenue au château !
“D’autre part, les murs de mon château tombent en ruine, les ombres le traversent en grand nombre et les vents y soufflent de partout. J’aime les ombres et tout ce qui est obscur, rien ne me plaît tant que d’être seul avec mes pensées.”
Si dans l’œuvre de Bram Stoker, le château de Dracula se trouve aux alentours du col de Tihuța, il existe un vrai château à Brașov qui ressemble aux descriptions du roman. Cette troisième étape nous emmène à Castelul Bran (“Château de Bran”), qui se situe dans la ville de Brașov, à 5 heures de route du col de Tihuța.
Qui-plus-est, Brașov est l’ancienne Valachie où régnait Vlad III l’Empaleur, l’homme qui a inspiré Bram Stoker pour créer son personnage de Dracula, si vous avez bien suivi. Nous reviendrons sur cet affreux personnage un plus tard…
Toutefois, Stoker s’est également inspiré de sa propre expérience en faisant de son protagoniste un prisonnier d’un château. En effet, l’auteur a travaillé pendant plusieurs années comme employé juridique du château de Dublin, et trouvait ce travail particulièrement “claustrophobique”. La légende raconte qu’il y faisait régulièrement des cauchemars, et pour cause : le château de Dublin est construit sur des tas d’ossements humains.
Mais revenons à nos aventures en Transylvanie. Que trouve-t-on aujourd’hui au château de Bran ? Perché depuis sa falaise à l’entrée du col de Bran-Rucăr, la forteresse gothique construite entre 1377 et 1388 sur ordre du roi de Hongrie témoigne du passé tumultueux de la région. Salles de réception d’un autre temps, mobilier moyenâgeux, chambre de torture, couloirs étroits et autres dédales… Le château est une invitation à devenir Jonathan Harker, à se faire peur, à s’imaginer prisonnier d’un monstre qui viendra nous sucer le sang en pleine nuit.
Le château de Bran témoigne également d’un passé royal, puisque ce dernier a été la résidence des célèbres Habsbourg, et de la famille royale de Roumanie. La reine Marie y aurait par ailleurs passé pas mal de temps !
Sighișoara, les racines du mal
“Oui, le comte gisait là, mais il paraissait à moitié rajeuni, car ses cheveux blancs, sa moustache blanche étaient maintenant d’un gris de fer ; les joues étaient plus pleines et une certaine rougeur apparaissait sous la pâleur de la peau. Quant aux lèvres, elles étaient plus vermeilles que jamais, car des gouttes de sang frais sortaient des coins de la bouche, coulaient sur le menton et sur le cou. Les yeux enfoncés et brillants disparaissaient dans le visage boursouflé. On eût dit que cette horrible créature était tout simplement gorgée de sang.”
La dernière étape de notre périple nous emmène à une centaine de kilomètres de Brașov, dans la ville Sighișoara. Là-bas, la réalité rattrape la fiction : car Vlad III l’Empaleur y serait né, en 1431. Son père Vlad Dracul, qui régnait en Valachie (la région voisine de la Transylvanie) aurait habité dans le bourg Sighișoara avec sa femme.
Ainsi, nous laisserons Harker de côté, pour découvrir la ville où est né le tortionnaire qui aura inspiré l’une des créatures les plus effrayantes de la littérature.
De prime abord, rien ne laisse penser que la ville eut été le berceau d’un bourreau. Sighișoara est en effet une citadelle fortifiée, dont le centre médiéval est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Alors si vous entamez une petite balade dans son centre, vous traverserez d’étroites ruelles biscornues et particulièrement colorées.
Vous découvrirez aussi son monument phare : la Tour de l’Horloge, où, depuis son sommet, vous pourrez admirer le panorama. Enfin, il faudra prendre les escaliers en bois, “scara scolarilor” (ou escaliers des écoliers). Ils sont une véritable machine à remonter le temps ! 175 marches plus tard, vous tomberez ainsi sur l’Église gothique de Saint-Nicolas, qui renferme quelques peintures et reliques de la Renaissance.
Derrière l’édifice religieux, s’étend un vieux cimetière allemand. Vous recherchiez des frissons, n’est-ce pas ? Vous voilà servis. Dans ce cimetière d’un autre âge, la mousse et le lierres recouvrent désormais les pierres tombales. Bien qu’austère et en friche, ce dernier vaut le coup d’y passer un moment. Mais vous n’y trouverez toutefois pas de traces de Vlad III…
Car c’est en descendant en direction du centre que vous trouverez les traces de l’homme à l’origine du mythe. En effet, vous tomberez sur la maison de Vlad Dracul. Pas de fioritures, sinon une plaque écrite en roumain. Et si le cœur vous en dit, vous pourrez visiter deux chambres pour 10 Leu roumains (environ 2€), où l’esprit de Vlad se fera une joie de vous faire peur. À moins qu’un comédien ne soit impliqué dans cette affaire…
Au-delà de Dracula
“Nous sommes en Transylvanie, et la Transylvanie n’est pas l’Angleterre. Nos us et coutumes ne sont pas les vôtres, et il y aura bien des choses qui vous paraîtront insolites.”
Notre voyage dans l’envoûtante Transylvanie touche désormais à sa fin. Si vous voulez poursuivre votre quête des vampires, alors nous vous donnons rendez-vous dans la capitale roumaine, Bucarest, où se trouve le musée de Dracula. Ce dernier vous permettra de perfectionner votre connaissance de la région, mais aussi du mythe. Car n’oublions pas : Dracula, son château, et ses Carpates ont également inspiré le 7e Art maintes et maintes fois !
Toutefois, dans le cas où vous auriez étanché votre soif d’en apprendre davantage sur la créature de Bram Stoker, alors nous vous invitons à découvrir de nouvelles facettes de cette merveilleuse région qu’est la Transylvanie. Car celle-ci aura encore davantage à vous offrir : châteaux par milliers, grands lacs, stations de ski en hiver, fabuleuses randonnées en été…
Mais prenez un pieu dans votre valise et quelques gousses d’ail dans votre poche, sait-on jamais.