La paella, une histoire de guerres… sans faim ?
Plat régional bien plus que national, la paella est un met chargé d’Histoire, qui a vu le jour dans la région de Valence, il y a déjà plus de 3 siècles.
La paella… Ses douces effluves épicées et ses vives couleurs dorées appellent aux souvenirs, à la nostalgie des moments passés à errer sur les marchés espagnols.. Si pour la plupart des Européens, la paella est un plat emblématique d’Espagne, pour les hispaniques la donne est légèrement plus complexe.
Aujourd’hui, nous vous invitons à plonger dans le récit qui retrace l’origine de ce plat mythique. Un récit chargé d’histoire, à coups de guerres de territoire, de prohibition et de conflits d’appropriation.
1. Le riz, bien avant la paella
Si l’assaisonnement et le dosage des épices sont sans nul doute indispensables à la confection d’une bonne paella, l’ingrédient principal de cette dernière reste évidement le riz. Deuxième plus gros producteur et consommateur de ce féculent en Europe -derrière l’Italie-, l’Espagne possède d’ailleurs les rizières les plus anciennes et les plus traditionnelles toujours actives du vieux continent, datant du VIII ème siècle.
L’importation européenne
Mais l’Histoire du riz et de sa culture débute bien plus tôt, il y a 7 000 ans de cela, sur les terres asiatiques. D’abord concentrées seulement en Chine puis en Inde, au Vietnam et en Thaïlande, c’est finalement en Grèce que se sont exportées les terres rizicoles. Enfin, exportées… Plutôt importées !
Car c’est Alexandre le Grand qui, marqué par les bienfaits du riz lors de sa conquête du continent asiatique, décide de ramener celui-ci sur les terres grecques afin d’y commencer la production, copiant le système des rizières asiatiques.
Ainsi, nous sommes en 320 avant J-C lorsque les premières récoltes de riz voient le jour en Europe.
L’arrivée du riz en Espagne…
Au fil des siècles et des différents empires, la culture du riz s’installe aussi en Méditerranée et dans le Proche-Orient. Il faut toutefois patienter jusqu’au VIIIe siècle, et la conquête musulmane de la péninsule ibérique, pour que la culture du riz s’installe dans la péninsule ibérique.
Tout s’accélère ensuite et la culture du riz devient l’une des activités principales de la région Valencienne sous l’occupation des Maures. En effet, fuyant les guerres internes de territoires, bon nombre d’Andalous viennent s’installer dans la communauté de Valence, terre d’un royaume taifa promettant le protection de son peuple.
Une augmentation de la population alors synonyme d’une plus grande main d’œuvre, et permettant donc d’agrandir la production agricole et la puissance économique du royaume.
… jusqu’à sa prohibition !
C’est ainsi que le riz devient l’une des principales activités agricoles espagnoles, du moins jusqu’à la reconquête de Valence en 1238. À cette époque, les chevaliers aragonais tentent alors de maintenir la culture du riz. Malheureusement, par manque de connaissance sur le produit, ils déclenchent un véritable fléau entourant régulièrement les zones marécageuses… Le paludisme !
Inondé de malades et incapable de lutter contre cette maladie, l’Espagne tombe dans la tourmente. Décidé à stopper cette épidémie, le roi Jaime I prend alors une décision drastique, en déclarant : « Je reconnais la dite culture et ayant des conséquences si funestes, j’interdis la dite culture dans la ville de Valence et ses alentours. »
Une prohibition imposée jusqu’au début du XVI ème siècle, mais qui n’a pourtant jamais empêché l’Espagne et la région Valencienne de continuer à augmenter sa production rizicole.
C’est d’ailleurs à Valence qu’apparaît finalement, deux siècles plus tard, la première (et unique) version de la paella !
2. La paella, la seule et l’unique
De l’ombre…
Notre récit se poursuit, et nous voilà désormais arrivés au XVIII ème siècle, le « siècle des lumières » en Europe, le temps de la renaissance en Espagne. Le XVII ème siècle y a laissé des traces, conjuguant guerres, maladies, pauvreté et abandon du territoire pour partir à la conquête de l’Amérique Latine.
Les terres infertiles et les productions agricoles laissées à l’abandon sont à l’origine de disette, notamment pour le peuple Valencien. Alors, le riz, peu couteux et dont la production n’a jamais cessée, y est devenu une tradition. Et c’est dans cette infortune certaine que les premiers plats cuisinés à base de riz voient le jour, toujours dans la région de Valence.
La paella est proche, toute proche… Pour cuisiner ce simple riz rond étalé au fond d’une poêle, les paysans valenciens vont au plus simple, et se servent donc essentiellement de ce qui les entourent : le potager et la basse-cour.
Alors, les ingrédients sont tout trouvé : du poulet et du lapin pour la viande, accompagnés de tomates, d’haricots verts et de quelques haricots blancs pour les légumes (voire même de l’artichaut pour certains). Le tout accompagné de feuilles de romarin, de piments, et évidemment, de safran. Parfois, on y ajoute de l’escargot, un met apprécié à l’époque des paysans espagnols.
Rien de plus. Pas de fruits de mer ni de poissons, et encore moins de porc. La Paella Valenciana, la seule et unique recette de paella encore reconnue à ce jour est née. Un plat copieux, imaginé et concocté par des paysans valenciens, avec les seuls ingrédients dont ils disposaient à cette époque troublée.
… à la lumière !
Aujourd’hui évidement, les recettes de paella sont diverses et variées, mais aucune ne peut prétendre à l’appellation de Paella Valenciana (qui est d’ailleurs une appellation d’origine contrôlée). Et si les façons de la préparer sont plus nombreuses, c’est car très vite, ce plat paysan devient l’un des chouchous de la bourgeoisie espagnole.
Fini donc les grandes poêles dans lesquelles tout le monde mange directement à la cuillère, se chamaillant même le « socarrat », la « croute de riz » qui colle au fond du plat. Désormais, la paella se diversifie, se sert dans des assiettes, avec de nouveaux ingrédients. Elle prend la place du simple riz au safran dont raffolent jusqu’alors les tables bourgeoises.
Grâce à ses saveurs quasi-orientale, elle gagne rapidement le cœur des espagnols, qui en font un plat de fêtes. Préparée uniquement le dimanche pour la savourer en famille, elle devient ensuite le plat mythique des fêtes religieuses espagnoles.
C’est donc à cette période que nous devons la paella telle que nous la connaissons aujourd’hui, faites de fruits de mers (crevettes, moules), de poisson et de chorizo.
3. Une histoire de guerres…
Civile
Dans le monde entier, la paella est le symbole de la nourriture espagnole. Mais paradoxalement… pas en Espagne ! Pour le peuple hispanique, il est clair que la paella reste un plat typique Valencien. Pour autant, l’image nationalisée que l’on s’en fait n’est pas due au hasard.
C’est Franco, qui, après la guerre civile espagnole, décide qu’il est l’heure pour l’Espagne de redorer son blason, et d’augmenter les ressources dues au tourisme. Pour ce faire, il doit trouver à son pays un plat emblématique. Enchanté par cette préparation dont l’Espagne entière raffole, Franco se rend vite compte que la paella est un met chargé d’Histoire, peu couteux et facile à préparer, et surtout que les couleurs de la paella rappellent également celles du drapeau espagnol : le jaune et le rouge.
Ainsi, il décide de la proclamer comme le plat national d’Espagne.
d’Indépendance
Il existe une autre histoire autour de la paella, une histoire aux apparences de contes, qui se murmure encore sur le littoral espagnol. L’histoire d’un général français et d’une paysanne espagnole, au début du XIX siècle, alors que la guerre d’indépendance bat son plein.
Au cœur d’un petit village espagnol situé dans la région de Valence et occupé alors par l’armée française sous les ordres de Napoléon, un général français ordonne à une paysanne de lui préparer un bon repas, ainsi qu’à son armée. La femme, habituée à cuisiner le riz, prépare une grande paella pour l’ensemble des soldats.
Sous le charme de ce plat aux saveurs méconnues, le général français fait alors une proposition à la jeune femme : pour chaque différents plats de riz qu’elle lui préparera, il fera libérer un prisonnier de son village. La jeune paysanne, motivée à l’idée de sauver ses proches, s’attèle à la tâche, en prenant bien soin chaque jour de modifier très légèrement la recette de sa paella, enlevant un élément ici, en ajoutant un autre là.
Selon la légende, la jeune femme fit libérer à elle seule pas moins de 176 prisonniers…
D’étymologie
Enfin, un dernier conflit entoure la paella, celui concernant son étymologie. Pour cette dernière, plusieurs hypothèses sont évoquées : le mot paella pourrait venir du latin ou de l’arabe.
Certains, adeptes de la langue latine, vous diront que le mot paella tire son nom de la « patella », la petite poêle dans laquelle ce plat était préparé lors de sa création.
D’autres, défenseurs de la langue arabe, avancent que la paella est issue du terme « Baqiyah », signifiant « les restes », car la paella était cuisinée par les paysans avec les seul ingrédients qui leur restaient à portée de mains.
Nous avons choisi d’y ajouter une dernière hypothèse, plus romantique… Celle d’un paysan espagnol qui aurait cuisiné ce plat pour la femme dont il était épris, et auquel personne d’autre qu’elle ne pouvait goûter. Sa préparation étant donc destinée à l’élue de son coeur, il l’aurait fait « para ella » -pour elle- , donnant ainsi naissance à la contraction « paëlla »…
4. « Notre » recette de la paella
Vous l’aurez compris, si l’on devait suivre les règles de « LA » paella, celle originaire de Valence, nous ne pourrions en rien vous faire part de notre recette. Alors, pour cette fois-ci, nous avons décidé de vous confier les secrets de la recette « familiale » de notre rédactrice en chef… Une recette transmise de génération en génération, liant amour et soleil, saupoudré d’un joli accent du sud-ouest.
Les ingrédients de notre recette « au feu de bois »
Pour environ 10 personnes (car la paella, ça se partage)
- 1kg de riz rond
- 500g de calamars
- 500g de rouget
- 300g de noix de St-Jacques
- 500g de supions
- 1 litre de moules
- 15 gambas
- 1 chorizo
- 200g de lardons
- 1kg de tomates pelées
- 3 poivrons
- Oignon
- Safran
- Sel, poivre, épices
- Huile d’olive
Les étapes de notre paella « au feu de bois »
Dans un plat à part
- Faites chauffer de l’huile d’olive
- Faites revenir calamars, supions et Saint-Jacques pendant 5 minutes
- Une fois dorés, sortir du feu et mettre de côté
Dans votre poêle sur le feu de bois :
- Faites chauffer une bonne dose d’huile d’olive
- Faites revenir poivrons, lardons, oignons et chorizo pendant 15 minutes
- Ajoutez les tomates pelées, bien mélanger
- Ajoutez 1l d’eau et laissez mijoter 20 minutes (sans couvrir)
- Incorporez votre préparation de calamars, supions et St-Jacques
- Laissez frémir 15 minutes, puis ajoutez les épices et l’assaisonnement à votre convenance
- N’hésitez pas à mouiller votre préparation
- Ajoutez le rouget, les gambas, les moules, le riz
- Laissez sur le feu en prenant bien soin de tout mélanger pendant 15 minutes
- Lorsqu’une grande partie de l’eau s’est évaporée, sortir du feu
- Couvrez et laissez mijoter 15 minutes